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L’AFRIQUE SE MEFIE DU COVAX ET LANCE SON PROPRE PROGRAMME D’ACHAT DE VACCINS

 

Les premières livraisons de vaccins contre le Covid-19 offerts par les Etats-Unis arrivent en Afrique. Dimanche, le Nigeria a reçu 4 millions de doses de Moderna. Le 22 juillet, 1 million de Johnson & Johnson ont été livrées à la Tanzanie. Le Burkina Faso, l’Ethiopie et Djibouti en ont aussi bénéficié quelques jours plus tôt. Au total, Washington a promis 500 millions de doses pour 2021 et 2022 au système COVAX, cette initiative de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui veut faciliter l’accès aux vaccins contre le Covid-19, plus particulièrement aux pays à bas revenu.

Cette bonne nouvelle ne suffit pourtant pas à cacher une colère qui monte en Afrique contre le système COVAX. A ce jour, il a fourni 31 millions de doses de vaccins à 46 pays africains alors que 3,3 milliards de doses ont été administrées dans le monde. Ce qui fait un taux de vaccination de 2% de la population africaine. A titre de comparaison, dans les pays riches et les grands pays émergents, notamment la Chine, 60% de la population adulte a déjà reçu au moins une dose de vaccin. Les seuls pays africains qui ont réussi à vacciner plus de 10% de leur population – Seychelles, Maurice, Comores, Maroc, Djibouti, Zimbabwe et Botswana – l’ont fait principalement avec des vaccins fournis directement par la Chine.


EVITER LE MEME SCHEMA QUE LE SIDA

C’est dans ce contexte que le témoignage de John Nkengasong au Health Policy Watch, journal en ligne dédié à la santé et édité à Genève, est révélateur. Le directeur des Centres africains de contrôle et de prévention des maladies (CDC) craint que le Covid-19 ne suive le même schéma que le sida. « Entre 1996 et 2006, environ 12 millions d’Africains en sont morts par manque d’accès aux traitements. Avec la pandémie qui fait un retour féroce dans un grand nombre de pays africains, le nombre d’infections et de décès augmente jour après jour, dénonce-t-il. L’histoire ne doit pas se répéter sous nos yeux. »

Pour John Nkengasong, l’accès inégal aux vaccins n’est pas juste une question d’argent, mais de gestion du COVAX dont la principale tâche est de mobiliser les ressources financières, de négocier des achats aux meilleurs prix et d’en assurer la distribution. L’an dernier, lorsque la course aux vaccins battait son plein – même si aucun vaccin n’avait été encore approuvé –, il n’a pris aucune option sur les futures livraisons, laissant la voie libre aux pays riches pour s’approvisionner autant qu’ils le voulaient et parfois même au-dessus de leurs besoins.



PAS DE VACCINS POUR LE COVAX

C’est ainsi que lorsque les fabricants de vaccins ont commencé la production en janvier 2021, il n’y en avait aucun pour le COVAX. Qui a dû attendre fin février pour effectuer sa première livraison au Ghana et à la Côte d'Ivoire. Puis, le système est tombé en panne en mars. Ses responsables avaient en effet compté sur une entreprise indienne – le Serum Institute of India – pour l’essentiel des achats, mais celui-ci a cessé toute livraison sur ordre du gouvernement indien, qui faisait lui-même face à une recrudescence du nombre de cas. Le Zimbabwéen Strive Masiyiwa, qui dirige l’African Vaccine Acquisition Task Team (Avatt) de l’Union africaine (UA), ne comprend pas qu’on soit si dépendant d’un seul fournisseur.

Dans une réponse écrite au Temps, le COVAX promet que le rythme de livraison à l’Afrique va s’accentuer dans la deuxième partie de l’année et affirme qu’il « est en bonne voie pour livrer 520 millions de doses de vaccins au continent d’ici à décembre et atteindre le chiffre de 1 milliard au premier trimestre 2022. L’objectif d’un taux de vaccination de 60% d’ici à la fin de l’année sera alors atteint. » Et d’ajouter : «
 Pour cela, il faut que les Etats et l’industrie pharmaceutique fournissent des vaccins en priorité au système COVAX afin que ceux-ci soient acheminés à ceux qui en ont le plus besoin. » Il y a une semaine, la directrice du COVAX, Aurélia Nguyen, a elle-même fait savoir qu’elle était « mécontente de l’absence de progrès ».

Mais la méfiance est déjà installée. Strive Masiyiwa dénonce aussi le manque de transparence du système. Selon lui, les pays africains ont été quasiment obligés de se joindre au système COVAX. Par la suite, ils n’ont pas eu accès à toutes les informations, surtout sur ses pré-commandes en quantités négligeables. «
 Lorsque les problèmes ont fait surface, il était trop tard pour boucher les trous », se plaint-il au Health Policy Watch. Frappé de plein fouet par la première vague de la pandémie et sans vaccins, l’Afrique du Sud est allée sur le marché et a payé ceux d’AstraZeneca à un prix plus élevé que celui déboursé par l’Union européenne pour le même produit.

Pour sortir de la logique de don, l’Avatt a commencé son propre programme d’approvisionnement, notamment en obtenant de Johnson & Johnson un engagement pour la fourniture de quelque 400 millions de vaccins. Elle est également en pourparlers avec des fabricants de vaccins chinois, entre autres.



MENTALITE DE RICHES

Les déclarations de Catherine Kyobutungi, l’épidémiologiste ougandaise directrice du Centre de recherche sur la population et la santé en Afrique, basé à Nairobi, ne sont pas passées inaperçues non plus. Dans la dernière édition de Development Today, une publication de la coopération norvégienne, elle décrit le COVAX comme étant une organisation « paternaliste, axée sur les donateurs et fondée sur une mentalité de pays riches aidant les pays pauvres ». Elle ajoute : « Un petit groupe d’experts s’est assis à Genève et a défini le problème et la solution pour un continent de 1,3 milliard d’habitants. Ils l’ont présentée de manière attrayante, l’ont commercialisée et en ont fait la promotion. Jusqu’à ce qu’on constate que l’Afrique ne reçoit que 1% du total mondial des vaccins. »

letemps

 


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